Genre:country,Outlaw.
MICKEY NEWBURY
LOOKS LIKE RAIN - 1969
POUR ECOUTER UN EXTRAIT (33RD OF AUGUST)
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Quand, il y a un an environ, j’ai posté la chronique concernant Frisco Mabel Joy sur la Toile, je m’attendais à raviver de grands moments auprès d’une populace d’anciens ou de férus d’Americana et, le cas échéant, à fédérer et échanger sur le thème Newbury. Tu parles, Charles, peau de balle et balais de chiottes, ça ne se bouscule pas plus au portillon aujourd’hui qu’hier et j’en suis encore à attendre désespérément qu’un premier pékin ne vienne pointer à ce rendez-vous.
De deux choses, l’une. Ou mon papier n’a pas réuni suffisamment d’arguments convaincants pour inciter à s’engouffrer dans les pas du patriote Newbury par mon entremise ou l’artiste qui a réunifié l’Amérique et a réinstallé sous la même bannière étoilée, blancs et noirs, nord et sud, variété et country, et ceci en un seul coup (American Dream), intéresse degun. Dans un cas comme dans l’autre, c’est navrant : preuve qu’il y a encore du boulot à faire pour attirer les regards à soi.
Loin de moi l’idée de renoncer pour autant à faire de la pédagogie sur un sujet aussi culte que cet artiste et son œuvre, quand, dans le même temps, on persiste à nous submerger de daubes polycarbonates inqualifiables, quand on continue à crouler sous des divas avant l’heure nasillardes exhibant nichons et tortillant du fion pour penser exister et faire exister leur entourage de tatoués peroxydés, quand on enfonce le clou à nous agiter sous le nez à des fins d’enfumage l’ancien dernier grand attaquant français sur terre battue, dont la reconversion en en grand moralisateur de gauche est aussi crédible que son implication dans la musique, ou quand, du côté de la rue de Valois, on se prend à mégoter sur la légitimité de décerner la légion d’honneur à Dylan l’insoumis et qu’en parallèle, Shakaponk, valeur du rock numérique actuel, se goinfre un peu facilement celle de Chevalier des Arts et Lettres. C’était mon quart d’heure de défoul’, c’est dit, passons à Newbury.
Depuis 45 ans, et jusqu’à ce qu’il ne trépasse en 2002, que ce mec discret pratique à haut niveau, les traces de fumée blanches qui moutonnent encore dans le sillage de son parcours artistique, ne sont pas prêtes de se dissiper. Même mort. Il est simplement regrettable que ces chemtrails n’intéressent plus qu’un groupuscule d’irréductibles, plus que jamais monté sur ressorts pour ne pas laisser ce label s’éteindre et pour tenter d’occuper un terrain laissé injustement et abusivement à des acteurs de pacotille, la faute à une presse abêtie et sans foi, ni loi, qui penche désormais et en priorité en faveur des intérêts commerciaux qu’elle en tire, plus qu’elle ne remplit la mission culturelle qui lui incombe.
Car il est là le blème, combien de journaleux ont concédé, ne serait-ce que quelques lignes, au phénomène Newbury ? Sait-on au moins la prolificité et la pertinence d’un catalogue dans lequel il n’est pas une sommité du rock et de l’Americana réunis qui ne moissonne encore régulièrement son répertoire ou qui n’y ait pas pioché un jour matière à s’assurer pitance, considération, audience ou popularité ?
A-t-on idée de l’incidence même de son acte le plus fumeux, le plus osé, une belle et poignante pièce-montée militante et patriote qu’Elvis Presley achèvera de porter aux nues ? An American Trilogy, c’est fait pour ne jamais disparaître. Sans compter que Mickey Newbury, autre rénovateur de country, peut s’enorgueillir d’une discographique époustouflante.
L’opportunité est toute trouvée de se retourner sur un des illustres maillons de son inventaire : Looks Like Rain, deuxième étage d’un édifice discographique prestigieux que son fronton situe en 1969.
Disque des jours tristes et pluvieux par excellence, Looks Like Rain succède à Harlequin Melodies (1968) un premier LP un tantinet trop lissé que Newbury a réprouvé en personne pour des divergences sur la manière dont il a été produit par RCA. C’est pourquoi le texan s’engage avec un nouveau label, Mercury, duquel il obtient l’engagement de se charger lui-même de la prod.
Avec les coudées franches et en contrôle total, Newbury ose une certaine originalité en dotant l’entièreté de l’enregistrement d’une atmosphère orageuse qui pénètre insidieusement l’auditeur. La pluie et le tonnerre, dans une sorte d’album-concept, cimentent entre elles les différentes chansons d’un disque intime dans lequel le chagrin, l’amour abîmé, l’amour tragique, la mort et la dépression sont chantés avec force émotion et dignité. Certaines pièces bénéficient par ailleurs de subtiles et atmosphériques arrangements ainsi que d’ingénieux effets sonores (train, carillon…).
Le songwriting exceptionnellement minutieux qui alimente le projet, la voix d’une grande profondeur et d’une belle douceur qui le porte, positionnent Looks Like Rain parmi les œuvres les plus géniales et les plus révolutionnaires que la country ait inventoriées. Ce country-folk élégant, fluide et installé hors du champ spatio-temporel ambiant se positionne dans l’antichambre de ce qui donnera l’impulsion au mouvement Outlaw à venir.
Album en avance sur son époque, profond et mystérieux, au son attachant, auquel il est difficile de reprocher quoi que ce soit et qui aurait pu se nicher dans le gousset d’un Townes Van Zandt ou d’un Tim Hardin, Looks Like Rain agrémente pour un tiers le coffret anthologique publié chez Drag City sous An American Trilogy (2011) ; Frisco Mabel Joy (1971) et Heaven Help The Child de 1973 (et Better Days, un Cd d’inédits et de démos), à tomber sur le cul, complètent cette offre unique. Cette tierce discographique est touchée par la grâce. Frissons garantis…
Parenthèse refermée, le constat qui découle de l’écoute de Looks Like Rain amène à admettre que le cheminement de ce registre est si finement, si positivement, si intelligemment structuré et réalisé qu’il s’accommode mal, à sa publication, d’un quelconque retour sur investissement dans les bacs. Ce dernier facteur de rentabilité n’échappe d’ailleurs pas au mercantilisme de Mercury qui, ne comprenant visiblement rien à l’Art, expurge le visionnaire Newbury de ses effectifs. La période Elektra s’annonce alors ; elle sera aussi stellaire et prolifique.
Ce chef d’œuvre rare, apanage d’une minorité d’allocutaires branchés, a ouvert la voie aux rebelles de l’Outlaw, et, depuis, a beaucoup influencé la sphère des rejetons auteurs-compositeurs. Gageons qu’un gazier aussi grand mélodiste qui a été repris par un millier de ses confrères pop, R&B ou country, via un nombre équivalent de chansons, puisse impacter désormais un public plus élargi, ce à quoi je m’emploie et m’emploierai avec détermination.
Dans le détail, l’album donne vie à deux titres parmi les plus célèbres de Newbury : le fantastique She Even Woke Me Up To Say Goodbye et le séminal San Francisco Mabel Joy qui donne son titre au prochain LP de l’artiste.
Looks Like Rain loge un contingent de pensionnaires aussi bouleversants : I Don’t Think About Her No More, The 33 rd Of August, Wrote a Song A Song/Angeline, T. Total Tommy (le plus potentiellement commercial), When The Baby In My Lady Gets The Blues, Look Like Baby’s Gone.
Même 45 ans plus tard, cette antidote contre le pas bien est à écouter, surtout les jours down et pour ne pas avoir à passer à l’acte. On pleure, mais ça fait un bien fou d’être là, sous le porche, transi, à écouter la pluie tomber, les chœurs planer, la guitare égrener ses aménités, avec un exceptionnel chanteur. Et si, après ça, vous voudriez enterrer le sujet, je vous attends de pied ferme (RAZOR) .
1. Wrote A Song A Song/Angeline.
2. She Even Woke Me Up to Say Goodbye.
3. I Don't Think About Her No More.
4. T. Total Tommy.
5. The 33rd of August.
6. When The Baby In My Lady Gets The Blues.
7. San Francisco Mabel Joy.
8. Looks Like Baby's Gone.
Kenny Buttrey:batterie.
Jerry Kennedy:guitare,saxophone,sitar.
Charlie McCoy:basse,guitare,harmonica.
Farrell Morris:percussions.
Wayne Moss:guitare.
Mickey Newbury:guitare,chant.